LA pAge noire

LA pAge noire

mercredi 7 juin 2023

COMPTOIR / Avis des lecteurs / Chroniques / Presse





Avis des lecteurs 








______________________


Dans l’hôtel imaginé par Ollivier Errecade certains n’ont aucune place. D’autres, sans doute, auraient pu être invités s'ils avaient consenti quelques efforts supplémentaires.

Ne les pleurez pas.

Djian. Hemingway. Chrétien de Troyes. Molière. Il y a là ce que la littérature a fait de mieux, ce qu’elle continue à faire, sans relâche, malgré les dires de certains trouble-fêtes -- le genre plutôt réactionnaire, le genre sans imagination.

Vous n’avez pas été convié, bien sûr. Mais faites-vous discret. Glissez vous sans bruit entre deux portes et ouvrez l'oeil. Il ne faut rien toucher.

"Les mots" et "l’ombre des mots". 

Vous n’avez rien à dire sur l’amour, le temps, la maladie, la mort, vous ne tenez pas l'alcool. La fumée vous fait tousser. D’ailleurs, les mots vous manquent. Marchez simplement dans les couloirs, jetez un coup d’œil sur les portes : vous y trouverez des noms connus, des noms admirés, des types – sans parler des femmes – grâce à qui vous savez bien pourquoi les mots vous manquent.

Ce n’est pas à eux qu’il convient de l’exprimer. Ils le savent. Et mieux que personne ils et elles savent qu'il est des circonstances, aussi, oú le silence s'impose. 

Le ciel est clair, par chance, alors ça va.  Pourquoi ne pas se mettre à l'aise ? Même ici, sur la terrasse, au-dessus des remparts, il est peu probable que le vent se lève.  Il suffit de fermer les yeux, de tendre un peu l'oreille. 

Ça s'appelle COMPTOIR. 
(Florent Gonzalez - lecteur)

                                 ----------------


« Un livre qui offre une belle promesse. Celle de faire débattre, dans un hôtel hors du temps, certains des plus grands écrivains et artistes des temps présents et passés. Ainsi Molière, Hemingway, Chrétien de Troyes côtoient Philippe Djian, Virginie Despentes, Gainsbourg et autres Woody Allen. Et l’exercice est réussi. Très bien réussi même. Une écriture fluide et travaillée fait que cet ouvrage se finit avant même d’avoir pu prononcer Louis Ferdinand Céline. Alors oui, la plume est légèrement cynique et désabusée, les débats tournent assez vite aux règlements de comptes, et l’éternel optimiste que je suis y a vu plus de noirceur qu’il n’aime en voir au quotidien. Mais tout cela est fait avec tellement de talent et d’intelligence qu’on se prend vite au jeu et qu’on se surprend même à prendre parti pour tel ou tel poète ou écrivain. 

J’allais donc donner un 8/10 à « Comptoir ». Mais un livre qui arrive à citer Bono et Goldman en quelques pages ne peut que friser la perfection. Ce sera donc un 9/10 »


 (Vincent MORVAN, Directeur de publication des Editions SATINVAË)




                                ----------------




Huis clos...
Un huis clos surprenant nous attend dès les premières pages...

Fiction ? Réalité ? Rêve ? Désir ?
Quand le passé se mêle au présent !

Vivants, morts, quand les amoureux des mots se réunissent autour d'un comptoir d'hôtel que peuvent-ils bien se raconter ?
Connus ou moins connus, qu'est-ce que ces personnes ont en commun ?

À travers ce roman "étrange et pénétrant", l'auteur, par ses mots, nous fait voyager dans des souvenirs d'enfance, mais pas que...

Si tous les Molière, Victor Hugo, Gainsbourg, Despentes, Sagan, Nothomb et bien d'autres se retrouvaient comme par magie coincés dans un hôtel alors que les quelques millions de Français que nous sommes sont confinés chez eux suite à une pandémie...
Ah, on peut dire que ça les fait bien rire...

Mais pour certains, leurs égaux en prennent un coup...

À grand renfort de mots, ils se livrent un duel et se défont de tous leurs maux...
Ils les vomissent par phrases entières, pleines de remords, d'amertume, mais également pleines de longs soupirs, de longs silences...

Ils signent, non pas à la pointe de l'épée, mais avec force et ténacité, leurs noms, leurs œuvres, leurs vies.

L'auteur, nous invite, à jouer les voyeurs dans cette rencontre pesante, presque angoissante par moment.

Ce récit n'est pourtant pas un thriller, mais le côté psychologique très sombre de certains protagonistes est oppressant et chargé d'émotion...

Un livre qui m'a beaucoup, comment dire... Dérouté, touché, ému et qui en même temps m'a amusé...

C'est très contradictoire, mais comment expliquer une telle lecture...
Alors pour y remédier, je vous propose juste de lire. 

((Sonia chroqueuse de livres - Chroniqueuse)
Lien du replay

      ----------------




Comptoir


Je ne veux pas refermer ce livre sous prétexte que la vie est ailleurs.

Dans Comptoir, je retrouve des voix chères que je croyais tues.  

Je lève mon vers à leur santé !


Yves Gaudin (rhapsode)


    

                                                ---------------------



Un hôtel quelque part, mais ce n’est pas cela qui importe.

Des visiteurs pas comme les autres, ça c’est pas commun : Jean-Baptiste Poquelin (notre Molièrenational), RabelaisHouellebecqFlaubertRimbaudVictor HugoHemingway et Françoise Sagan… et d’autres encore… Des écrivains qui reviennent à la vie par la magie de l’auteur Ollivier Errecade et qui côtoient des homologues bien vivants … Voilà une idée qui m’a tout de suite séduite … et la cerise sur le gâteau, ils sont tous confinés parce qu’un « méchant virus fait des ravage à ce qu’il paraît » …

êtes-vous prêts pour une traversée temporelle? 

J’ai ouvert le livre un dimanche matin, en buvant mon petit café de milieu de matinée (incontournable le weekend 😉 ). Je l’ai refermé juste avant le repas de midi, c’est-à-dire que je l’ai lu d’une seule traite !

Remarquez, il n’est pas très long c’est vrai, mais ce qui veut dire aussi que je n’ai pas pu m’extirper de mon fauteuil tant que je n’avais pas atteint la dernière page.

Alors, me direz-vous, c’est qu’il m’a tenu en haleine et que je l’ai adoré ! Oui, bien sûr, j’ai beaucoup aimé ce concept peu commun. L’auteur est un amoureux des Lettres et des auteursde tous temps, cela se sent dans sa manière d’écrire. Il est à l’aise avec ces personnalités si atypiques, quel que soit le siècle où ils ont vécu. La littérature traverse les époques comme une comète le système solaire et elle ne prend pas une ride ! C’est la magie que se permet celui qui prend la plume pour épancher sa passion et transmettre ce qui le fait frissonner de plaisir.

Point de sagesse ou de remise en question, juste le fil éclairé d’un groupe éclectique de plumes en tous genres, et de manières de penser improbables parce que les siècles s’effacent peut-être au Comptoir tout en goûtant les cocktails étonnants et détonants d’Hemingway,  mais pas dans leurs âmes. Alors, ça s’accroche, ça s’interpelle, ça s’incomprend (pardon pour ce néologisme), ça se nombrilise (encore pardon) et cela donne un savoureux récit.

Alors, oui, j’ai beaucoup aimé ce livre, d’autant plus que la plume d’Ollivier Errecade est fine bien que rugueuse parfois et piquante aussi. Je me suis sentie comme une petite souris indiscrète et spectatrice d’un spectacle ahurissant. J’ai pourtant un peu regretté la manière dont les protagonistes « règlent leurs comptes ». Mais, n’est-ce pas aussi un moyen de démystifier le génie qui, somme toute, loge dans des êtres faits de chair et de sang et quelles que soient les époques qu’ils habitent ?

La nouvelle charte graphique des Editions Red’active… Surprenante, autant que ses auteurs non ? Qu’en pensez-vous? 




"Comptoir" d'Ollivier Errecade....Un coup de maître !!!!
Un véritable bijou d'écriture, d'intelligence, d'humour, et disons le tout de go...de culture littéraire, mais dans le bon sens du terme! Un roman dont les personnages ne sont autres que des auteurs des 2 sexes, poètes, romanciers, philosophes etc etc ,vivants ou morts et d'époques différentes, qui se retrouvent consignés dans un hôtel du sud de la France par les hasards d'une épidémie... Des élites confinées ensemble, quelle bonne idée !
Leurs rencontres vont donner lieu à des débats parfois houleux, toujours jouissifs, et souvent alcoolisés par la grâce d'Ernest Hemingway, intronisé barman, qui nous donne ses meilleures recettes de cocktails.
Inutile de préciser que les dialogues entre ces pointures incontestables de la littérature vont vous régaler ... Des dialogues imaginés et ciselés par un parfait connaisseur de leurs oeuvres et doté d'un humour corrosif, qui vous redonneront l'envie de vous y replonger...en les considérant peut-être sous un angle différent.
C'est simple....j'ai adoré!

(Claude Carré - auteur)


                
                                                        ----------------------------------




Mes lectures de la semaine :
Le matin Zola qui n’est plus à présenter et le soir Ollivier Errecade avant de lire son nouveau roman publié chez Red’Active Éditions. Deux auteurs différents mais à la fois si tellement proche par leur talent d’écrivain.
(Elizabeth Bé - auteur)


                

                                                            --------------------------------







                                                            --------------------------------








lundi 5 juin 2023


 





La finale des poteaux carrés



Michel comprit subitement pourquoi nous nous étions acharnés à fournir trois guerres à ces démons germaniques. Trois guerres en soixante-quinze ans ! S’il retenait les deux dernières, les choses avaient plutôt bien commencé pour eux, mais le coup de sifflet final leur avait été fatal. Ça ne leur avait pourtant pas suffi. Ils étaient encore là, les bras au ciel, à pomper la lumière des étoiles, comme des abeilles célestes aux ailes d’or. Il était abasourdi. Ce qu’il venait de voir, la terrible chose à laquelle il venait d’assister, cette tragédie en deux actes jouée sur la pelouse d’Hampden Park, c’était comme si l’Histoire avait d’un coup choisi de s’inverser, de refluer sur-elle même, de se retourner d’une manière incompréhensible, comme une sale gamine puant le caprice. Michel avait vu ses joueurs, ses héros en vert dominer les débats pendant quarante cinq minutes. Par deux fois ils avaient heurté les poteaux. Mais ce n’était qu’un détail, un simple fait de jeu destiné à faire monter l’ambiance, à rendre la victoire plus belle. Les Bavarois étaient à l’agonie. Cette fois ils allaient finir par comprendre. Le leçon serait définitive. Cela s’inscrivait dans l’ordre des choses. Leur défaite était prévue, comme gravée dans les lois de l’univers. 

Pourquoi ces foutus Ecossais avaient-ils choisi de conserver ces vieux poteaux carrés, alors qu’ailleurs on les avait remplacés par de belles tubulures rondes, plus gracieuses, plus esthétiques, résolument plus modernes ? Sur le coup personne ne s’était posé la question. Cherche-t-on à pénétrer la justesse d’un choix opéré par un peuple qui a inventé le golf ? Sérieusement ? Ces gens des Highlands sont étranges. Voilà tout. Au moins les Romains avaient-ils fini par le comprendre quand ils avaient décidé de les enfermer de l’autre côté d’un mur. Mais à la 57ème minute, quand Franz Roth a inscrit le but qui sera celui de leur victoire, Michel s’est mis à maudire le hasard. 

Maudits poteaux carrés. Maudits poteaux carrés. Le ballon serait rentré s’ils n’avaient pas été carrés. Des gens diraient plus tard que rien n’est moins sûr, mais Michel, lui, il le savait, il était là, il le savait aussi sûr que la terre est ronde, aussi sûr que le printemps succède à l’hiver. Cette pensée tourna dans son esprit tout au long des semaines qui suivirent ce 12 mai 1976. Puis cette histoire rentra dans la légende. Il avait été le témoin de ce match de légende. C’était déjà ça. Les mois passèrent. Il n’y pensa plus ensuite que de façon lointaine, dans une sorte d’amusement légèrement amer. Puis il oublia un peu. C’est qu’il eut très vite d’autres chats à fouetter, Michel. A-t-il un jour seulement pris conscience que ces poteaux carrés ont bouleversé sa vie, qu’ils l’ont écrite ? Sa vie et celle de Nora, leur existence et celle de Cameron ? Rien n’est moins sûr… 


Voyons un peu ce que ça a donné, cette histoire de poteaux carrés qui auraient dû être ronds, mais qui ne l’étaient pas, parce qu’ils étaient carrés. 

A la fin du match, perdu, comme percé de clous acérés, Michel s’est laissé guider par le cortège des 54863 autres spectateurs de cette farce sans nom. Les Allemands chantaient, ces salauds, les Français chantaient aussi, ces idiots. Comment s’est-il trouvé dans le centre d’Edimbourg, à noyer sa noire désillusion dans la Belhaven ? Il ne l’a jamais su. Mais il a rapidement compris autre chose. Cette fille échouée au fond de ce pub, cette fille à deux pas de lui, avec cet accent impossible, qui imitait chaque chant qui passait par ses oreilles, qui brayait comme un bouc qu’on égorge, cette fille aux cheveux longs et au cul très rebondi était du genre à lui plaire. Peut-être parce qu’elle ressemblait à Cécile. Hum, c’est peut-être bien à cause ça. 

Cécile était la fille du patron. Il avait réussi à lui parler quelquefois, à se retrouver seul avec elle par moments. Elle était belle comme il ne savait pas quoi. Elle sentait la vie, un mélange de pureté et d’audace qu’il osait imaginer, à quoi il rêvait le soir, quand ça le prenait, avant de dormir, quand une érection subite le tenait éveillé, une érection douloureuse qu’il s’agissait de satisfaire. Mais Cécile était la fille du chef. Elle faisait des études. Elle savait bien parler, quand il fallait. Elle savait dire non de mille façons différentes. Quand il osait leur parler, ses potes le poussaient au crime, ils lui disaient de tenter sa chance, de la tenter vraiment. Vas-y tourne la roue, tu verras bien. T’es beau gosse, il t’aime bien le patron. Et t’es supporter des Verts. Mais Cécile était tout simplement inaccessible. Intouchable. 

Nora n’était pas la fille d’un boss. Elle était fille de personne d’ailleurs. Ses parents étaient morts quand elle était gosse. Allongés fous d’amours dans un grand champ de blé rouge, ils n’avaient pas remarqué que c’est sur eux que la moissonneuse fonçait. Ç’avait dû être moche à voir. C’était surtout stupide. Nora racontait ça comme elle aurait raconté une fable. Elle en souriait. Ça ne se voyait pas vraiment, mais elle souriait. Il en était certain. Et ce genre de détail lui plaisait terriblement. Nora devait être un peu folle, et cette nuit-là, seules la bière et la folie semblaient pouvoir expliquer ce qui venait de se passer quelques heures plus tôt, là-bas, de l’autre côté de la ville. Seules la bière et la folie semblaient pouvoir le soulager de ce cruel spectacle. Nora vivait de l’autre côté de la baie mais c’était fini. Elle avait décidé de foutre le camp. Elle avait laissé sa clef sur la porte du taudis de son oncle et elle était monté dans le bus pour Edimbourg. Ce sale type qui profitait d’elle à la première occasion et qu’elle avait bien failli embrocher le dimanche précédent. Le porc avait posé sa grosse main sur ses fesses en se collant à elle comme une verrue, avec des mots d’amour qu’il avait frottés dans son oreille. Un autre bus l’attendait demain, n’importe lequel, pour n’importe où. 

— Pourquoi tu ne viendrais pas en France ? 

Michel a longuement hésité avant de poser la question. Il la regardait dormir. Ses cheveux cachaient la moitié de son visage et s’étiraient jusque sur le bout de son téton clair, presque blanc. Il ne savait pas comment le lui dire, il ne savait pas s’il devait prononcer une chose pareille. Il allait parfois à la fenêtre. La ville s’était réveillée avant eux. Sa chambre, leur chambre, donnait sur une avenue qu’il sondait à fond, dans l’espoir d’y trouver un signe, quelque chose pour l’aider. Mais rien ne venait. Rien ne se produisit de ce côté. Il y avait des automobiles, des autobus, des gens qui vont et viennent, des passants qui comme lui avaient sûrement des décisions à prendre, et qui attendaient certainement un signe comme lui, une révélation. Des êtres humains heureux, d’autres malheureux, qui marchaient vers leur destin sans avoir ce qui les attendait au coin de la rue, mais qui marchaient. 

Il avait emporté un jeu de cartes. C’était pour le voyage. Il aimait faire des réussites. Il en connaissait des tas. Il avait prévu de faire ce voyage avec Franck, son meilleur ami. Ils s’étaient promis de se la faire ensemble cette finale, tous les deux. Ils avaient mangé toutes leurs économies pour acheter les billets, réserver l’avion et la chambre. Mais dimanche dernier, un mauvais tacle lui avait fracturé le tibia. Franck faisait partie de ces êtres humains qui ne pouvaient plus marcher. Alors Michel avait emporté un jeu de cartes. Pour faire passer le temps. 

Il a brassé les cartes. Soigneusement il les a mélangées. Plusieurs fois de suite. Si tu tires un cœur, si c’est un cœur qui sort paquet, tu n’auras plus le choix. Tu poseras la question à Nora. 

— En France ? Avec toi ? Elle se mit à rire. Ses dents étaient plus blanches que les dents de Cécile. Son rire ne lui faisait pas peur. Ses mots étaient purs. Mais pourquoi ? rit-elle encore. 

— La Dame de Cœur me l’a ordonné, lui colla-t-il la carte entre les seins. 

Le 14 février 1977, Cameron vint au monde par césarienne. Au dernier moment le cordon ombilical s’était noué autour de son cou. Il fallut faire vite. 

Cameron est cet être humain qui devra à un poteau carré de se mettre à marcher. A un poteau carré, une tentative de viol incestueux avorté par une broche soulevée d’une façon convaincante, un tacle maladroitement octroyé sur un terrain vague quelque part sur le continent européen, sans oublier Judith, la Dame de Cœur. Avouons qu’en termes de programmation on peut faire mieux. Les Grecs du siècle d’or auraient applaudi comme des fous. Une gestation pré-utérine pareille, ça avait de la gueule. Une sacrée destiné, une sacrée malédiction. A moins qu’un de leurs philosophes ne décline cela en élection. C’est comme vous voudrez. 

Six mois après le premier cri de Cameron, Nora a cessé de l’allaiter. Lendemain de cuite. Une cuite au carré. Elle n’avait pas bu une goutte depuis quinze mois. Les reprises d’entrainement sont toujours douloureuses. Sous le minuscule crâne de Cameron, une poignée de neurones ont décidé de se sentir trahis. Plus jamais Cameron n’acceptera la trahison. Le fait semble dérisoire. Mais il ne l’est pas quand il peut changer, à terme, la destinée d’un peuple…

1981. Première fois que Cameron foule le sol écossais. L’oncle de Nora est mort par suicide. Annonce de la fermeture des usines Talbot, Linwood. Surlendemain des entretiens qui ont eu lieu entre les dirigeants du groupe et les membres du gouvernement britannique. Ses cendres déversées dans la Mer du Nord, le petit demande à sa mère pourquoi le tonton inconnu s’est transformé en poussière. Nora improvise une réponse. C’est à cause de madame Thatcher, dit-elle, tout en pensant à part elle que la disparition de cette charogne familiale aura été la seule œuvre salutaire de cette pourriture anglaise. Cameron se souviendra que les Anglais ne sont pas très cools. Il se souviendra aussi qu’il préfère le vert de Saint-Andrews au vert des anciens héros de son père. 

En 1985, Renaud chante Miss Maggie. Inutile d’en rajouter. 

Agé de dix ans, promenade à vélo le long d’un golf. Une petite balle ronde percute son crâne. Il perd connaissance. A son réveil il réclame des clubs pour son anniversaire. Le mal par le mal concèdera Michel, contraint d’accepter de voir son fils raccrocher crampons et protège-tibias.

Demi-Ecossais, amateur de golf, élève doué, Cameron obtient une Mention Très Bien au bac et une réponse positive de l’Université de Saint-Andrews. En juillet 2000, Tiger Woods signe sous ses yeux un moins 19 d’anthologie au bout du Old Course. Un mythe vivant ! Il aime les mythes, Cameron. Il les aime au point de les étudier. Il admirera désormais la victoire, contrairement à son père qui chaque année, le 12 mai, entonne ce même récit glorieux d’une défaite légendaire, avec tout de même un grain mélancolique de plus en plus prononcé. Le temps, l’âge, la quadrature du cercle… 

En 2012, Cameron est un jeune professeur. Le jour où les accords d’Edimbourg sont signés, le guidon de son vélo attrape la jupe d’une jeune femme qui déboule devant lui. Elle porte une culotte aux couleurs de l’Ecosse. Elle pourrait gifler le chauffard mais le temps presse. Il lui faut des interviews sur ces accords historiques. Il en va du sort du pays, non de celui de sa pudeur. 

Le jeune professeur essaie de se faire pardonner, et de lui plaire. Ce qu’il dit au micro charmera aussi les populations éclairées du pays. Cameron devient ainsi le porte-parole plus ou moins officiel de la campagne pour le maintien du pays dans l’Union. Le jeudi 18 septembre 2014, il porte l’étendard de la victoire du oui lors du referendum.  

Jeudi 23 juin 2016. La trahison anglaise du Brexit révolte Cameron et sa jeune épouse journaliste. La haine de la trahison, il a ça dans le sang notre ami. 

Jeudi 13 mai 2026. Cameron prononce officiellement l’Indépendance de l’Ecosse du haut d’une tribune dressée sur la pelouse d’Hampden Park. 

Au milieu de la foule, Michel caresse la lumière des étoiles, les bras au ciel. 




dimanche 14 février 2021

MOLIÈRE TA MÈRE (Contre Pierre Louÿs et le sbire de Paris-Match)


    


     Si vous me demandiez avec quel auteur j’aimerais passer une soirée, partager quelques jours, pour quel génie de la plume ou du clavier je serais prêt à sacrifier un petit doigt, voire quelques semaines de vie, je commencerais par verser une larme. La vie m’a souri. Elle m’a permis de fumer des clopes à n’en plus finir avec l’immense Robert l’Irlandais, me prête la grâce de regarder tomber le soir avec l’ami Philippe, colosse parmi les géants. Mais je verserais tout de même une larme si vous me posiez cette question. 

Forcément j’élabore en vitesse une wish-list. Vous me proposez un miracle. Vous me proposez de rencontrer l’auteur de mon choix, qu’il soit vivant ou six pieds sous terre. Vous me le proposez gratis, sans me faire démembrer et sans renoncer à un morceau de vie. Je joue le jeu. Hemingway ? 

Camus ? 

Chrétien de Troyes ? 

L’anomyme du Lancelot-Graal ? 

Shakespeare ? 

Dante ? 

Molière ? 

Mais je verse quand même une larme face au sacrifice que je m’apprête à faire de plusieurs noms au profit d’un seul. 

Je réponds Molière. 

Jean-Baptiste Poquelin. Dit Molière. 

Pourquoi Molière ? 

Parce que Molière. Parce que la langue de Molière. Parce que l’impertinence de Molière. Parce que la force de Molière. La force de croire que le rire et l’humour peuvent rivaliser avec l’horreur et la pitié tragiques. Faire mieux même. Parce que Sganarelle qui cherche comme un bouffon à démontrer l’existence de Dieu, parce que Dom Juan cède face au Pauvre pour l’amour de l’humanité, parce que Tartuffe le scélérat ressemble à mon collègue, à mon voisin, à moi-même, quel homme ! parce que Arnolphe dans l’acte cinq prend les airs pathétiques de la tragédie, monsieur de la Souche et son front de bois, parce que Agnès et sa bonne école, parce les malédictions d’Harpagon, parce que Jourdain ressemble à mon autre collègue, à mon autre voisin, et à moi-même encore, parce que les précieuses, parce que madame Pernelle, parce que son Malade, parce que Alceste surtout, mais aussi Pierrot et Mathurine, parce que quoi que dise Aristote et toute la philosophie… parce que ce type cherchait à remuer la merde sur chaque trottoir. De Pézenas à Paris. 

Et parce qu’on la lui a bien rendu. 

Qui ça ? Les médecins et leur cabale. Jusqu’à ce qu’un jeune roi qui apprenait le métier de la tyrannie les renvoie à leur cabinet. Les médecins et les dévots de tout poil ont voulu sa peau, l’ont usé, cassé, abimé, sans doute tué, à la fin. Les dévots. Ceux de son temps, ceux d’aujourd’hui. Ceux qui ne peuvent jamais. Ceux qui ne supportent pas les caricatures, ceux qui envoient leurs enfants tirer dans les foules. Molière les nommait sobrement scélérats. Dans l’amplitude de ses registres la langue de Molière me permet d’utiliser le synonyme qui me vient à l’esprit : une bonne bande d’enculés. Les dévots barbus, les dévots en carré Hermès, les dévots à chapeau large. Jean-Baptiste vous botterait le cul. Ça serait délicieux, une fois encore. Au théâtre ou sur Netflix, on s’en fout. il vous botterait le cul. Et ce serait magique. 

Voilà pourquoi je répondrais Molière. 

Mais il y a encore une raison à cela. Une putain de raison.


Paris-Match, son édito de la semaine. Sous l’honneur de la plume de monsieur Gilles Martin-Chauffier. L’Air du temps. Deux colonnes en première page intérieure pour fusiller Molière, encore une fois. 

Regardons d’un peu plus près. 

L’aède de Paris-Match commence par faire la fine bouche, s’étonnant ingénument que par temps de crise sanitaire, certains puissent songer à panthéoniser quelques-uns de nos grands auteurs. Comme s’il était indécent de s’occuper de choses aussi futiles pendant que le pays est à genoux. On va faire court. On va se contenter de rappeler les mots de Churchill quand un de ses ministres suggéra de couper dans le budget de la culture afin de soutenir l’effort de guerre. Winston ôta ses lunettes, ralluma un de ses gros cigares et tira une bouffée avant de recracher sa fumée en affirmant qu’il ne sert à rien de mener une guerre si c’est pour entamer la culture d’un pays. Ce foutu virus a suffisamment fait de dégâts comme ça. Rapatrier les restes de Molière au Panthéon ne fera certes pas vivre nos artistes, nos rhapsodes, nos intermittents, encore moins nos restaurateurs. Est-ce que ça leur enlèverait quelque chose ? 

Je laisse tomber la pique adressée au passage par Gilles Martin-Chauffier au président de la République qui réussit très bien ses discours, ses hommages. On peut toujours profiter d’une chronique dans un grand magazine d’investigation pour faire de la politique. Ça fait partie de la règle du jeu, ça prête généralement à l’auteur la possibilité d’être un guide, un manitou, voire un sniper en pantalon de velours. Certains font la guerre comme d’autres se masturbent dans des draps de soie. 

Je laisse aussi tomber la critique faite de l’architecture du Panthéon, qui est ce qu’elle est, qui vaut ce qu’elle vaut, qui a le mérite de manifester une étape de cette architecture classique en quête de rendez-vous avec les beautés antiques. Mais je comprends que certain puisse reprocher au 18ème siècle de n’avoir pas été le 21ème. Ou le 16ème, ou même encore le 46ème… 

Bref. Venons-en au fait. Creusons le fond de la poubelle. 

Molière a beaucoup lu Aristophnane, Plaute, Terence, les Italiens, les Espagnols. Entendons sous les mots de monsieur l’auteur documenté, érudit s’il en est, que Molière ne serait pas un auteur original. Parce que le Poquelin aurait repris des trames à tous ces illustres poètes. Monsieur l’auteur de romans (parce que ledit chroniqueur de Match écrit aussi ses romans), quand on écrit un titre qui se nomme poussivement Belle amie, doit-on conclure que vous n’êtes pas un créateur sous prétexte que vous foulez au féminin les pas d’un Maupassant ? Et puisque nous y sommes, vos romans, vous les écrivez en prose, non ? Doit-on maugréer que vous empruntez sans honte la voie qu’a ouverte l’auteur anonyme du Lancelot-Graal au 13ème siècle ? Que vous avez vous aussi beaucoup lu les autres prosateurs après lui et avant vous ? 

Mais vous voulez jouer. Vous convoquez Corneille en exhumant la vieille thèse d’un Pierre Louÿs qui affirmait prouver que Corneille est l’auteur des meilleures pièces de Molière. Vous l’affirmez aussi avec un argument qui inspire le respect : on est aujourd’hui persuadé qu’il est l’auteur de ses plus grandes pièces. 

Je ne vous rappellerai pas que la persuasion n’est que l’artifice de l’argumentation, préférant souligner que Pierre Louÿs n’en était pas à une pensée pornographique prés. Il est toujours nécessaire de dévoiler ses sources. Ce n’est certes pas l’exercice d’une chronique de magazine pour figaristes assoupis, mais permettez-moi de conseiller à vos lecteurs la consultation du Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d’éducation vertement réécrit par Pierre Louÿs. Ils se feront ainsi une idée de l’homme qui a prouvé que Molière n’est pas l’auteur de ses pièces. Pierre Louÿs était un type dont la tricherie n’est plus à prouver. Faux traducteur, faux talent d’helléniste, il était au fond du trou en 1919 quand il a eu l’idée d’appliquer à Molière ce qui se disait (tout aussi absurdement) de Shakespeare qui n’aurait rien écrit, lui non plus. Pierre Louÿs buvait la nuit, il buvait beaucoup. Dormait le jour. Un état lamentable. Il lui fallait quelque chose pour faire parler de lui. C’est bien monsieur, c’est bien. Vous faites revivre ses idées. Vous êtes persuadé qu’elles sont justes. Vous affirmez. Vous trompez. Tout cela manque terriblement de rigueur intellectuelle. Ce qui, je le concède, est moins grave que la malhonnêteté. Le plaisir du bon mot, le délice de débiner pour débiner, la jalousie peut-être ? Moins grave que la scélératesse. 

Au passage, je n’ai rien contre la pornographie quand il s’agit d’une affaire entre adultes consentants. Elle me gène terriblement quand elle ressemble à un viol. Elle me donne une vague nausée quand elle atteint le domaine des idées. Bien plus crade, bien plus perverse que celle des corps. 

Comment expliquer sinon ces dizaines de vers communs parsemés à travers leurs œuvres respectives ? questionnez-vous. 

Molière a mis en scène Racine. Molière âgé de 22 ans a également fait vivre des pièces de Corneille sur la scène. Et Molière a souvent repris des tirades, des mots, des réflexes de la tragédie pour les transposer au registre de la comédie. C’est ainsi qu’il aimait jouer avec son public, avec ses confrères. Cela s’appelle du comique de décalage. Rien de plus. Rien de moins. Mais quand c’est Molière qui s’en charge, les rien de plus, les rien de moins s’élèvent à la hauteur des choses immenses. Ces glands tombés sur la terre fertile du génie, qui donnent les chênes les plus hauts, les plus forts. de ces arbres que les pyromanes les plus perfides ne consumeront jamais. Malgré qu’ils en aient. 

Est-ce que vous diriez que Georges Brassens n’est pas un poète parce qu’il a repris les vers de du Bellay ? Ou parce qu’il vient de Sète ? Et qu’il y a vu le jour cinquante ans après Paul Valéry ? Les amis, j’ai un scoop pour Paris-Match ! Paul Valéry est le véritable auteur des chansons de Brassens. Le jeune communard, libertin et outrageusement moustachu fit un pacte dans sa jeunesse avec l’austère Valéry qui gardait sous le coude des choses moins savantes, plus légères. Le jeune Georges prit les cahiers de Valéry et improvisa quelques accords avec sa guitare. Le voile est levé !  Je peux envoyer mon papier à Paris-Match !

Passons. 

Après avoir tenté de renvoyer Molière dans le rang des faussaires, la sainte chronique hebdomadaire s’attaque à l’homme. Ça faisait longtemps. Un Molière incestueux et carrément pédophile. Parce que bien sûr Molière a épousé sa propre fille. Armande, fruit de sa liaison avec Madeleine. Il avait beau jeu de dénoncer les tartufferies de son temps. Quel sale type que ce Molière ! 

Comme les procès sont vite faits. Comme les cabales ont la dent dure. 

Racine est là-dessous. Jean Racine. Vous savez ? le janséniste mondain qui pour remercier Molière de l’avoir lancé dans la carrière en faisant connaître sa Thébaïde, a remercié ce dernier en ne lui confiant pas son Alexandre, sous prétexte que ses acteurs n’avaient pas l’accent tragique. Mais pas la Du Parc qui succomba aux promesses que Racine lui fit sur l’oreiller. 

Molière ne pardonna pas l’ingratitude de ce jeune prétentieux. Le « vol » de son actrice lui resta comme en travers de la gorge. Mais Racine n’était pas homme à faire le dos rond. Et racine fut à l’origine de la légende d’un Molière épousant sa propre fille à la va-vite. Un Mardi Gras, qui plus est ! Il était dix heures du soir. Le prêtre était acheté et il n’y eut aucun témoin. 

Mais Molière a épousé Armande en l’église Saint-Eustache, à neuf heures du matin, le premier lundi après le Carême. Et Louis 14 fut le parrain du fruit de cette union. 

Certes Molière a épousé une femme qui avait vingt ans de moins que lui. Et Molière était conscient de la chose qui s’est aussi moqué de lui-même dans son École des femmes, comme il s’est moqué de ses soucis financiers dans L’Avare, de son hypocondrie morbide dans Le Malade imaginaire, tout comme il a tourné en dérision son dégoût des hommes, ses déceptions amicales dans son immense Misanthrope. Parce que Molière se moquait de lui-même comme il débinait tout ce qui bougeait autour de lui. L’autodérision. Voilà la leçon dont certain ferait mieux de s’inspirer. 

Car l’édito de Paris-Match ne s’arrête pas là. Tant qu’à faire, tant qu’à être ignoble, il ne faut jamais lésiner, il faut aller au bout. Sans quoi, on rate ses effets. Gilles Martin-Chauffier n’hésite pas à assimiler Molière à une sorte de collabo, via la figure de Coco Chanel, candidate malgré elle au Panthéon. 

Raisonnement analogique qui n’appartient qu’à l’auteur de cette chronique magique, mais qu’il faut relever. Monsieur le chroniqueur, une analogie n’appartient qu’à celui qui la tisse. 

Mais jouons encore. Je n’aime pas tellement attaquer les personnes. Je préfère généralement me contenter des idées. Frotter les idées aux idées. Idéal humaniste ? Leçon de vie ? Je ne sais pas. Toujours est-il que je n’aime pas beaucoup m’en prendre aux personnes. Leur physique leur appartient, leur histoire également. Mais quand le verre déborde, quand la dose est trop lourde, quand le scélérat ne se contente plus d’être un scélérat, quand le manteau de la probité ne lui suffit plus, quand ses grimaces lui font des crampes, quand il estime enfin qu’il est bon pour ses affaires d’endosser la robe d’un juge et de penser mal de tout le monde, alors il faut accepter d’utiliser les mêmes armes que lui. On peut toujours ignorer la malhonnêteté, on peut toujours tenter de prendre de la hauteur, refuser de s’abaisser à l’ignominie, mais il est par moments nécessaire de retrousser sa manche et d’envoyer le poing dans la gueule d’une crapule. 

Donc. Monsieur Martin-Chauffier. Le Panthéon et ses locataires rentrent donc dans les cordes de votre juridiction ? Et Molière le tricheur, Molière l’incestueux, Molière le collabo y ferait un mauvais locataire ? Plus exactement son entrée dans le temple des Immortels serait comme la photographie d’une ère décadente, puante, où seuls quelques justes seraient encore en mesure de voir clair et d’écrire juste ? Quelques Zoros justiciers au service de leur Happy few  de lecteurs ? 

Soulevons un brin la cape, si vous le permettez. Le masque et le chapeau noir. 

Il n’est pas tellement grave d’avoir été pensionnaire d’un collège-lycée privé avant de reconnaître à la fin les vertus de l’enseignement public pour y décrocher un diplôme supérieur. Nombreux sont ceux qui finissent par se ranger à ce genre d’évidence et opèrent sans complexe ce transfert de valeurs. Cela arrive à beaucoup de gens. Passons encore. Et quand ledit établissement se trouve au bord du gouffre à la suite d’une longue et fâcheuse série d’affaires de harcèlement moral et d’agressions sexuelles visant ses anciens comme ses nouveaux chefs, on doit admettre que les anciens élèves n’y sont pas pour grand chose. À moins que certains aient su, qu’ils se soient tus. À moins que d’autres puissent considérer que ce genre d’éducation et de valeurs viriles ne puissent pas faire de mal. Au contraire. Ça forge l’âme les brimades, ça muscle le caractère les bizutages. 

Concédons qu’un petit fils de grand Résistant ait pu ignorer tout cela. Admettons. Bien que tout de même, cela n’augure rien de bon en terme de perspicacité. Vous me direz que la perspicacité, les capacités de résistance peuvent se révéler plus tard dans la vie d’un homme. Je le concède. Elles peuvent fleurir subitement par un beau matin de février au moment d’écrire une chronique sur le cas Molière. C’est une révélation. Une Pentecôte. Nul besoin d’enquête. Nul besoin de peser ses mots. Les mots sont. Ils sont souffle de la Vérité. 

Passons une nouvelle fois, passons aussi sur ce qu’aurait pensé le grand-père Résistant de cette belle aptitude à la dénonciation si parfaitement étayée. 

Mais alors que dire d’autres mots assumés dans un texte dont le titre résume à peu près tout des valeurs panthéonistes de son auteur ? Du bonheur d'être breton. Les régions contre les nations. Que les Bretons soient heureux d’être des Bretons, les Corses des Corses, les Basques des Basques et les Catalans des Catalans, tant mieux pour eux. Tout comme on se fout que le premier fanatique soit heureux de l’être pourvu qu’il reste dans son coin et qu’il se contente de ne pas faire chier le monde. Mais la suite du titre… Les régions contre les nations. Un poil belliqueux à mon goût. Un poil régionaliste extrémiste, avec le vocabulaire qui va avec. Et le Panthéon dans tout ça ? Symbole des grands noms de la République. Une et indivisible. Flamme de la Nation. J’avoue que la cohérence se ride. J’avoue que l’obscurité tombe soudain, qu’il fera bientôt nuit. Que je suis perdu. Complètement perdu. 

Et l’obscurité se fait ténèbres quand je cherche pourtant à m'extraire de cette forêt dense, nauséabonde soudain. Je regarde. J’inspecte. Et je trouve d’autres mots. D’autres articles d’une incroyable ambiguïté à propos du génocide arménien balayé d’un revers de main au nom d’un amour sans mesure pour la Turquie. Ça pue pour de bon. 

Qu’un Breton aime passionnément la Turquie n’a rien de stupéfiant en soi. Il y va de son droit et de sa liberté la plus totale. Mais être un homme lu, être un auteur, un chroniqueur parcouru par bon nombre de lecteurs, ça donne quelques responsabilités. On se renseigne. On réfléchit un instant. On doute. Parfois même on s’abstient. On se tait quand il le faut. 

On a le droit d’être amoureux de sa région et même d’un autre pays, fût-il un pays dont les dérives sont aussi grandes, aussi puissantes que son lointain passé. On a le droit d’éprouver une sorte de passion dévorante pour un amour de jeunesse que le temps a transformé en harpie acariâtre. Mais on garde ça pour soi. Ou bien on se met à la poésie, on prend le risque d’un dialogue avec les Fleurs du Mal

Les Fleurs du Mal. Baudelaire. Ah ! Encore un de ces usurpateurs qu’on pourrait avoir envie de foutre au Panthéon. Ce Baudelaire mal débauché qui après tout n’a écrit qu’un seul vrai recueil, et qui a pillé tout ce qu’il avait à piller entre Platon et les Parnassiens. Gageons en outre qu’il est aisé de prouver que ce type était dans des états pas possibles, assez peu compatibles avec l’écriture du moindre alexandrin qui puisse tenir la route. Gageons que c’est la cousine qui faisait le ménage qui a pondu ces fleurs maladives

Molière avait l’ambition d’élever la comédie au rang de la tragédie. Il croyait en une catharsis par le rire. Il imaginait avec Rabelais (autre prêtre nom, certainement) que le rire puisse être le propre de l’homme. Alors oui, c’est avec lui, avec Molière que j’aimerais passer une belle soirée. On déboucherait une bouteille. Une grande bouteille. Ça serait savoureux. 

Grincez monsieur, grincez. Médisez. Les barbecues du printemps attendent vos papiers. Estimez que vous vous en tirez à bon compte. Je suis persuadé que Molière saurait beaucoup me faire rire de votre propre tragédie. Même que pour ça, il vous piquerait peut-être une ou deux phrases.